Une année de bandes dessinées sur le territoire francophone européen
par Gilles Ratier, secrétaire général de l’ACBD
- Consécration en terme de production : 2526 livres appartenant au monde de la BD (dont 1730 nouveautés) ont été publiés en 2003, alors que le climat économique général reste morose.
- Consécration par le nombre de maisons d’édition : elles sont désormais 185 (contre 180 l’an dernier), mais seulement 26 éditeurs publient la quasi-totalité des albums.
- Consécration par les plus gros tirages et les ventes : Titeuf, Astérix (avec une fausse nouveauté) et d’autres séries classiques (comme Blake & Mortimer, Le Petit Spirou, Joe Bar Team, Boule et Bill, Le Chat, Lanfeust de Troy, Cédric…) confirment leur succès. 32 décembre de Bilal se place aussi parmi les meilleures ventes, toutes catégories confondues.
- Consécration de la BD étrangère : les 521 BD japonaises ou coréennes (mangas ou manwhas) représentent, désormais, pratiquement 30% du marché de la BD et sont appréciées par un public très jeune.
- Consécration pour les prépublications : la BD ne se limite pas aux albums, elle investit également de nombreuses formes de publication : magazines généralistes, fanzines, Internet… Paradoxalement, les 21 magazines spécialisés de BD, vendus dans le réseau presse, ne trouvent pas toujours leur public.
- Consécration grâce à l’éventail des prix proposés : différentes opérations promotionnelles sont organisées par les éditeurs qui multiplient les mises en valeur de leur catalogue, afin de le proposer à un public de plus en plus large.
- Consécration des métiers de la BD qui, comme le public concerné, attirent de plus en plus de femmes : 1264 dessinateurs ou scénaristes (dont 93 femmes, soit 7,35%) sont employés sur le territoire francophone européen.
- Consécration grâce à l’intérêt diversifié porté à la BD : c’est désormais un média solidement implanté dont l’importance ne peut plus être ignorée ! En France, la BD est, enfin, reconnue comme un secteur à part entière de l’édition : elle a été transférée de la délégation aux Arts plastiques vers la direction du Livre et de la lecture.
- Consécration grâce aux nombreuses adaptations : les BD sont très souvent sources d’inspiration pour d’autres formes d’art et d’autres médias. Il n’y a jamais eu, par exemple, autant de films mis en chantier d’après des BD.AnnexesCrédits et remerciements
N.B. : la moindre utilisation de ces données ou d’une partie d’entre elles doit être obligatoirement suivie de la mention : © Gilles Ratier, secrétaire général de l’ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée).
I – CONSÉCRATION EN TERME DE PRODUCTION
2526 livres appartenant au monde de la BD (dont 1730 nouveautés) ont été publiés en 2003, alors que le climat économique général reste morose. La BD s’en sort bien car sa production augmente pour la 8ème année consécutive, avec des ventes qui se stabilisent (même si les événements sociaux et politiques n’incitent guère aux dépenses). Notons un constant rajeunissement du public (notamment grâce aux amateurs de mangas et de comics), ce qui est un excellent signe pour l’avenir de ce secteur en phase avec notre civilisation de l’image ; en pleine effervescence, la BD défriche sans arrêt de nouveaux territoires avec des ouvrages proches de la littérature, du reportage ou de l’essai, tout en investissant des secteurs déjà bien balisés, mais toujours porteurs, comme l’imaginaire ou l’humour. Aujourd’hui, on ne peut plus parler de la bande dessinée comme d’un genre ou d’une seule entité : elle comporte désormais des segments clairement identifiés qui s’épanouissent indépendamment les uns des autres et qui prouvent que l’on peut tout faire avec ce média ! Grâce à un programme assez riche en locomotives, la BD continue donc d’afficher, en cette année 2003, une bonne santé éditoriale : elle pèse 13% dans le marché du livre (on estime qu’un livre vendu sur dix est une BD) et en reste le secteur éditorial le plus porteur, avec les ouvrages pour la jeunesse ou les livres pratiques et parascolaires. Parmi les 1730 nouveautés BD (contre 1494 l’an dernier), 764 albums (soit 44,16% du secteur) sont publiés par les « grands éditeurs » (contre 843 l’an passé) : on peut les répartir en 5 catégories :
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Imaginaire (SF, heroic-fantasy, fantastique…) avec 230 titres contre 270 l’an passé (soit 30,11%)
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Humour avec 210 titres contre 257 l’an passé (soit 27,48%)
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Policier (prenant également en compte BD d’espionnage et romans contemporains) avec 138 titres contre 131 l’an passé (soit 18,06%)
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Historique (intégrant western et aventures de pirates) avec 119 titres contre 118 l’an passé (soit 15,57%)
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BD pour tout petits avec 67 titres contre 48 l’an passé (soit 8,76%)
À ces 1730 nouveaux albums jamais édités sous cette forme jusqu’à aujourd’hui (soit 68,48% de la production BD annuelle), il faut aussi rajouter 515 rééditions (20,38%) sous une nouvelle présentation ou nouvelles éditions revues et augmentées (contre 436 l’an dernier), 212 recueils d’illustrations ou de dessins d’humour (8,39%) réalisés par des auteurs de BD (contre 207 l’an dernier) et 69 (2,73%) ouvrages sur la BD (contre 67 l’an dernier). Soit un total de 2526 livres appartenant au monde de la BD (contre 2204 l’an dernier) : autrement dit, une augmentation de 322 titres (contre 314 l’an dernier), soit 14,6%. À titre de comparaison, il faut savoir que 46.000 nouveaux livres sont publiés dans une année ; la BD représente donc 5,49% des livres édités sur le territoire francophone européen.
II – CONSÉCRATION PAR LE NOMBRE DE MAISONS D’ÉDITION
Elles sont désormais 185 (contre 180 l’an dernier), mais seulement 26 éditeurs publient la quasi-totalité des albums. Alors que l’ambiance est très tendue dans l’édition française (Hachette doit, finalement, rétrocéder 70% des acquis de Vivendi Universal Publishing mais reste le plus gros groupe, loin devant les autres), le monde de la BD échappe un peu à cette agitation grâce à la forte implantation des éditeurs spécialisés en ce domaine. En 2003, seulement 26 éditeurs ont publié la quasi-totalité des albums de BD, c’est-à-dire les 3/4 de la production en titres. Cela représente vraisemblablement 80 à 90% des ventes de ce secteur dominé par Glénat (avec 20,42% de parts de marché), Dargaud (19,3%), Dupuis (12,43%), Flammarion avec Casterman et AUDIE, Soleil, Delcourt, et, dans une moindre mesure, par Les Humanoïdes associés et Albin Michel.
Pourtant, certains pensent qu’il y a encore trop d’acteurs sur le marché et des restructurations se sont amorcées. Ils sont peu à avoir déposé leur bilan mais ils sont nombreux à avoir intégré des entreprises plus importantes : ainsi, Nucléa a t-il été racheté par La Sirène (à 50% avec les éditions Soleil), Dino s’est-il engouffré discrètement chez Panini (Marvel France), Carabas a-t-il rejoint le giron du groupe Tournon-Semic, Treize Etrange fait-il désormais partie du catalogue de Milan qui s’est récemment allié avec Bayard (lequel devient le plus important éditeur pour enfants), Fleurus (donc Média participations et donc Dargaud d’une certaine façon) a-t-il repris Mango, Bagheera et Végétal Manga se sont-ils développés à Soleil, lequel s’est-il allié (sur le terrain commercial) à Delcourt en constituant une équipe de vente commune appelée DelSol prête à concurrencer les trois autres géants de l’édition BD que sont Glénat, Dargaud et Dupuis… Notons cependant que les bouleversements récents qui obligent Hachette à se séparer du distributeur InterForum auront pour conséquence une recomposition du paysage éditorial : nous y verrons sans doute plus clair en 2004 !
En attendant, les éditeurs les plus prolifiques (qui sont passés de 23 à 26 en un an) laissent peu de marge de manœuvre aux nouvelles maisons d’éditions (Akileos, La Boîte à Bulles, Dynamite, L’Employé du moi, Esprit Livres, Humeurs, Nocturne, Theloma, Uploadgraphics… ou encore Actes Sud, Denoël, Milan… qui s’étaient déjà frottées, sans trop de persévérance, à ce médium). On peut donc constater qu’en 2003, Glénat a publié 205 nouveaux titres (contre 185 l’an passé) soit 8,11% de la production BD, Soleil-Végétal Manga 184 nouveaux titres (contre 99 l’an passé) soit 7,28%, Delcourt 174 nouveaux titres (contre 122 l’an passé) soit 6,89%, Dargaud-Kana 147 nouveaux titres (contre 169 l’an passé) soit 5,81%, Casterman 118 nouveaux titres (contre 104 l’an passé) soit 4,67%, Panini 116 nouveaux titres (contre 104 l’an passé) soit 4,59%, Tonkam 96 nouveaux titres (contre 120 l’an passé) soit 3,80%, Dupuis 94 nouveaux titres (contre 72 l’an passé) soit 3,72%, Pika 75 nouveaux titres (contre 64 l’an passé) soit 2,96%, Les Humanoïdes Associés 64 nouveaux titres (contre 47 l’an passé) soit 2,53%, Albin Michel 63 nouveaux titres (contre 60 l’an passé) soit 2,49%, Le Lombard 60 nouveaux titres (contre 57 l’an passé) soit 2,37%, SEEBD (c’est-à-dire BD Erogène, Bulle Dog, Akuma et Tokébi) 59 nouveaux titres (contre 24 l’an passé) soit 2,33%, Vents d’Ouest 56 nouveaux titres (contre 44 l’an passé) soit 2,21%, Semic 54 nouveaux titres (contre 29 l’an passé) soit 2,13%, La Sirène-Nucléa2 46 nouveaux titres (contre 25 l’an passé) soit 1,82%, J’ai LuFlammarion 41 nouveaux titres (contre 39 l’an passé) soit 1,62%, Paquet 29 nouveaux titres (contre 27 l’an passé) soit 1,15%, L’Association 26 nouveaux titres (contre 25 l’an passé) soit 1,02%, EP Editions-La Martinière 25 nouveaux titres (contre 13 l’an passé) soit 0,98%, Audie 22 nouveaux titres (contre 33 l’an passé) soit 0,87%, Le Seuil 21 nouveaux titres (contre 13 l’an passé) soit 0,83%, S.A.F. (Erko + Nickel) 20 nouveaux titres (contre 7 l’an passé) soit 0,79%, Bamboo 19 nouveaux titres (contre 16 l’an passé) soit 0,75%, Joker 19 nouveaux titres (contre 9 l’an passé) soit 0,75%, Bayard 18 nouveaux titres (contre 18 l’an passé) soit 0,871%…
Enfin, il ne faut pas oublier les labels indépendants (L’An 2, Atrabile, Clair de Lune, La Cafetière, Charrette, Coccinelle BD, La Comédie Illustrée, Cornélius, Le Cycliste, Drozophile, Dynamite, Ego comme X, FLBLB, FRMK, Groinge, Jet Stream, Joie de lire, Loup, Mosquito, Le 9e Monde, Petit à petit, PLG, Point Image-JVDH, Psikopat, Rackham, Reporter, Les Requins Marteaux, Six Pieds sous Terre, Sketch, Temps Forts, Toth, USA, Vertige Graphic….) qui construisent peu à peu des catalogues fort intéressants, découvrant sans cesse de nouveaux talents. Ils participent pleinement au redéploiement de la BD, même si leurs tirages sont loin d’atteindre ceux des best-sellers.
III – CONSÉCRATION PAR LES PLUS GROS TIRAGES ET LES VENTES
Titeuf, Astérix (avec une fausse nouveauté) et d’autres séries classiques (comme Blake et Mortimer, Le Petit Spirou, Joe Bar Team, Boule et Bill, Le Chat, Lanfeust de Troy, Cédric…) confirment leur succès. 32 décembre de Bilal se place aussi parmi les meilleures ventes, toutes catégories confondues. Même s’il n’y a pas eu de nouvel album de Titeuf dessiné par Zep cette année, cette série reste la meilleure vente de l’année car elle prend toujours d’assaut les premières places du top des livres. Quant à Astérix et la rentrée gauloise, il ne s’agit que de la réédition augmentée (tirée quand même à 1.500.000 ex. !) d’un album paru en 1993.
Toutefois, les autres grands gagnants de l’année semblent être l’excellente reprise de Blake & Mortimer par Sente et Juillard (tirage : 600.000 ex.) et Le Petit Spirou de Tome et Janry (tirage : 590.000 ex.) : des grands classiques qui ont toujours la faveur du public ! Ensuite, viennent des valeurs sûres. Les tirages annoncés par les éditeurs sont 530.000 ex. pour Joe Bar Team de Bar2, 400.000 ex. pour Boule et Bill de Verron d’après Roba, 300.000 ex. pour Le Chat de Geluck, Lanfeust de Troy d’Arleston et Tarquin, Cédric de Cauvin et Laudec, 230.000 ex. pour Blueberry de Giraud, 200.000 ex. pour Litteul Kévin de Coyote, 192 .000 ex. pour Cédric & cie (collectif), 190.000 ex. pour Les Tuniques bleues de Cauvin et Lambil, 160.000 ex pour le collectif annuel MégaTchô, 150.000 ex. pour Les Schtroumpfs du studio Peyo, Le Troisième Testament de Dorison et Alice, Les Profs de Erroc et Pica, 120.000 ex. pour TomTom et Nana de Cohen, Reberg et Desprès, L’élève Ducobu de Zidrou et Godi, Kid Paddle & cie (collectif), 102.000 ex. pour L’agent 212 de Cauvin et Kox, 100.000 ex. pour Le Marsupilami de Dugomier et Batem d’après Franquin, Atalante de Crisse, Sambre de Yslaire, Sillage de Morvan et Buchet, Alpha de Mythic et Jigounov, La Jeunesse de Blueberry de Corteggiani et Blanc-Dumont, Léonard de Bob de Groot et Turk, Caméra Café de Van Linthout, Stibane et Didgé, 90 .000 ex. pour Blacksad de Diaz Canales et Guarnido, Bételgeuse de Léo, Alix de Martin et Moralès, 87.000 ex. pour Les Femmes en blanc de Cauvin et Bercovici, 80.000 ex. pour Golden City de Pecqueur et Malfin, Wayne Shelton de Van Hamme, Cailleteau et Denayer, Yakari de Job et Derib, 70.000 ex. pou IR$ de Desberg et Vrancken, Rapaces de Dufaux et Marini, 65.000 ex. pour Best of Boule et Bill de Roba, Best of Gaston de Franquin, 61.000 ex. pour Mélusine de Gilson et Clarke, 60.000 ex. pour Calvin et Hobbes de Watterson, Légende de Swolfs, Les Forêts d’Opale d’Arleston et Pellet, Le Chant des Stryges de Corbeyran et Guérineau, Le Chat du Rabbin de Sfar, Les chroniques de la lune noire de Froideval et Pontet, Momo le coursier de Margerin, 53.000 ex. pour Jérémiah de Hermann, 52.000 ex. pour Les Psy de Cauvin et Bédu, 50.000 ex. pour Carmen McCallum de Duval et Gess, Les sales blagues de Vuillemin, Jérôme K. Jérôme Bloche de Dodier, Gil St André de Kraehn et Vallès, Les Gendarmes de Sulpice, Cazenove et Jenfèvre, Pierre Tombal de Hardy et Cauvin, Bouncer de Jodorowsky et Boucq, W.E.S.T. de Dorison, Nury et Rossi, 45.000 ex. pour Golden Cup de Pecqueur et Henriet, Tramp de Kraehn et Jusseaume, 40.000 ex. par titres pour Les guides en BD (collectifs)…
Bien entendu, comme dans tous les secteurs de l’édition, les tirages sont souvent supérieurs aux ventes réelles qui croissent moins vite que le nombre de parutions (le nombre de retours est toujours imprévisible) : d’où le fléchissement des tirages moyens. Toutefois, ces chiffres extraordinaires font des envieux : on les retrouve même pour des BD reposant sur le seul nom de leurs auteurs, comme celles dues à Bilal (tirage de 425.000 ex. pour 32 décembre qui se positionne comme un des grands vainqueur de l’année) et Tardi (135.000 ex. pour Le cri du peuple T.3) ou pour des séries au concept original comme Le Décalogue de Giroud (100.000 ex. par titres) et Le Triangle Secret de Convard (80.000 ex. par titres). Ces dernières sont souvent réparties dans des collections correspondant à différents types de marchés pour en faciliter la vente. Cela explique la création incessante de nouvelles segmentations en cette année 2003 (« Petits délires » et « Polyptiques » au Lombard, « Insomnie » chez Delcourt, « Expresso » chez Dupuis, « Haute tension » chez Albin Michel, « Les 3 masques » et « Styx » aux Humanoïdes associés, par exemple).
IV – CONSÉCRATION DE LA BD ÉTRANGÈRE
Les 521 BD japonaises ou coréennes (mangas ou manwhas) représentent, désormais, pratiquement 30% du marché de la BD et sont appréciées par un public très jeune. On comptait 377 mangas l’an dernier : on note donc une augmentation de 144 titres (contre 108 en 2002) pour ce secteur de plus en plus apprécié. Notons qu’il n’est plus concentré chez quelques éditeurs spécialisés (comme Tonkam ou Pika) ; en effet, de plus en plus d’éditeurs traditionnels de BD s’intéressent à ce secteur lucratif : Glénat, Dargaud (avec Kana), Panini (avec Génération Comics), Flammarion (avec J’ai Lu), Delcourt (avec Akata), Soleil (avec Végétal Manga), SEEBD (avec Akuma et Tokébi)…
V – CONSÉCRATION POUR LES PRÉPUBLICATIONS
La BD ne se limite pas aux albums, elle investit également de nombreuses formes de publication : magazines généralistes, fanzines, Internet… Paradoxalement, les 21 magazines spécialisés de BD, vendus dans le réseau presse ne trouvent pas toujours leur public.
En 2003, 305 BD (soit 17,63% des nouveautés) ont été prépubliées (contre 269 en 2002), pour la plupart dans les 21 magazines de BD que sont Spirou, Le Journal de Mickey, Picsou, Fluide Glacial qui fait appel à l’humoriste Albert Algoud pour redorer son blason, Psikopat, Lanfeust Mag (tirage : 30.000 ex.), Vécu, L’Écho des Savanes, Ferraille, Coyote, la nouvelle mouture de Kid Paddle Magazine ou les récents Grosbill, Art X, Strip, Tokebi… ou encore Pilote qui renaît le temps d’un seul numéro (vendu à 200.000 exemplaires !) : ils n’étaient que 16 en 2002 ! Si Pavillon Rouge et les petits formats édités par Semic (Rodéo, Kiwi, Zembla…) ont hélas disparu, notons que, dopées par le succès de Titeuf, les éditions Glénat ont lancé une nouvelle formule de Tchô (40.000 ventes mensuelles), tandis que certains titres ont été rebaptisés tel Minnie Mag devenu Witch Mag. Ceci dit, remarquons que 12 revues -et non des moindres puisque Métal Hurlant, Lapin, Bile Noire…, ou des nouveaux comme Bang !, Shônen Collection (spécialisé dans la prépublication de mangas, tirage 30.000 ex.), La Lunette… en font partie- préfèrent la distribution en librairies spécialisées (contre 11 en 2002).
VI – CONSÉCRATION GRÂCE À L’ÉVENTAIL DES PRIX PROPOSÉS
Différentes opérations promotionnelles sont organisées par les éditeurs qui multiplient les mises en valeur de leur catalogue, afin de le proposer à un public de plus en plus large. Les grands éditeurs continuent à multiplier les albums à un prix modique ou offrant un plus (un autre album, un ex-libris, un cahier supplémentaire…). Certains comme Dupuis, Dargaud, Casterman ou Bamboo éditent aussi des collectifs promotionnels à bas prix regroupant leurs différentes séries… D’autres, comme Glénat, proposent des intégrales dans un format proche du roman et à un prix défiant toute concurrence. Cet effort est méritoire car la BD est un genre éditorial à marge faible (fort coût de création et de fabrication pour un prix de vente ajusté) : c’est certainement ce qui explique qu’elle reste un domaine maîtrisé par les éditeurs spécialisés ! Les éditeurs multiplient donc les tentatives pour mettre en valeur le fonds de leur catalogue d’où le nombre accru des rééditions : intégrales (150 titres soit 29,12%) ou éditions « new look » de séries déjà bien implantées (120 titres soit 23,30%). Toutefois, il faut noter la recrudescence des tirages de luxe (60 titres soit 11,65%) touchant un public d’amateurs avisés ou de spéculateurs, comme c’était le cas dans les années 80, à l’aube d’une crise que l’on espère loin derrière nous.
Le public peut donc désormais faire son choix parmi une production pléthorique, même s’il reste encore bien des auteurs à redécouvrir : il devient urgent de valoriser les BD innovantes et oubliées qui font partie d’un patrimoine que les éditeurs se doivent d’entretenir. En 2003, seulement 67 titres (soit 3,87% des nouveautés) parus dans la presse ou à l’étranger et datant de plus de 20 ans ont bénéficié d’une parution en album (contre 46 l’an passé). Merci aux éditions de l’Âge d’or, l’An 2, l’Association, Bulle Dog, Le Cri, Delcourt, Dupuis, FRMK, Ligne d’ombre, Loup, Mosquito, Niffle, Panini, Soleil, Taupinambour, Temps Forts, Toth, Triomphe, Vertige Graphic… qui proposent, enfin, des chefs-d’œuvre signés André Joy, Arthur Burdett Frost, Massimo Mattioli, Brian Bolland, Wilhelm Bush, Osamû Tezuka, Jijé, Yves Chaland, Alex Barbier, Ivo Milazzo, Eddy Paape, Attilio, Michelluzzi, Dino Battaglia, Raymond Macherot, Maurice Tillieux, Jack Kirby, Steve Ditko, Will Eisner, John Buscema, Magnus, Lucien Nortier, Christian Gaty, Jean Cézard, Maurice Cuvillier, Loÿs Pétillot, Keiji Nakazawa, Chantal Montellier, Yoshihiro Tatsumi…
VII – CONSÉCRATION DES MÉTIERS DE LA BD
Consécration des métiers de la BD qui, comme le public concerné, attirent de plus en plus de femmes : 1264 dessinateurs ou scénaristes (dont 93 femmes, soit 7,35%) sont employés sur le territoire francophone européen.
Aujourd’hui, pour vivre (plus ou moins bien) de la BD, il faut avoir au moins trois albums toujours au catalogue des éditeurs et un contrat en cours, ou travailler, de façon systématique, pour la presse. Mais la plupart de ces créateurs sont obligés d’être de plus en plus polyvalents, travaillant pour d’autres médias et participant très souvent à des animations pédagogiques en école, pour permettre et développer l’accès à la lecture et à l’écriture. Ils nous prouvent ainsi que la BD offre un terrain fantastique à la créativité, à la réflexion, au travail en équipe, à l’ouverture sur toutes les cultures.
Parmi ces 1264 auteurs notons que 190 (soit 15%) d’entre eux sont scénaristes sans être également dessinateurs (contre 150 en 2002) et que certains sont aussi coloristes, lettreurs, maquettistes, traducteurs, éditeurs, responsables éditoriaux, journalistes, organisateurs de festivals…. Si 2003 fut l’année du 20e anniversaire de la mort d’Hergé (de nombreuses commémorations ont entouré l’évocation du créateur de Tintin alors que les conditions pour utiliser son œuvre sont de plus en plus draconiennes), n’oublions pas les disparitions (rien que sur le territoire francophone européen) de Franz (dessinateur de Jugurtha, Lester Cockney ou Poupée d’ivoire), Patrick Moerell (pilier de la revue Fluide Glacial), Rémy Bordelet (dessinateur pour les petits formats), Omer Boucquey (plus connu pour ses dessins animés), Georges Pichard (dessinateur de pulpeuses héroïnes comme Blanche Epiphanie, Paulette ou Marie-Gabrielle de St Eutrope), Guy Bara (le papa de Max l’explorateur), Jean-Pierre Ventillard (éditeur des Pieds-Nickelés), Alain Bignon (dessinateur de Une éducation algérienne ou de Il faut y croire pour le voir), Maurice Manesse (un habitué des publications Fleurus)…
VIII – CONSÉCRATION GRÂCE À L’INTÉRÊT PORTÉ À LA BD
C’est désormais un média solidement implanté dont l’importance ne peut plus être ignorée ! En France, la BD est, enfin, reconnue comme un secteur à part entière de l’édition : elle a été transférée de la délégation aux Arts plastiques vers la direction du Livre et de la lecture. Cette reconnaissance institutionnelle lui permet, entre autres, d’amplifier ses droits à tous les dispositifs du Centre National du Livre : aides aux jeunes auteurs, au développement des nouvelles maisons d’édition, à la traduction d’ouvrages étrangers… Voilà qui conforte les positions du récent groupe Bande Dessinée du Syndicat National de l’Édition, lequel tient à faire entendre sa voix dans les dossiers qui le concernent comme le prêt en bibliothèque (un ouvrage emprunté sur cinq est une BD), le droit de copie (la BD est la cible principale des photocopieurs anonymes sur papier ou sur Internet), les circuits de commercialisation, le suivi de la jurisprudence sur le droit d’auteur, etc.
Même si la BD est aujourd’hui un art qui réussit à entrer dans de nombreuses institutions officielles et qui se heurte à de moins en moins de préjugés (le bon accueil que réserve le public aux romans graphiques en est une preuve flagrante), elle garde son impertinence. Cette particularité explique qu’elle soit encore trop souvent synonyme de sous-culture, notamment dans les milieux dits littéraires ou culturels. Pourtant, des revues telles que Lire, Télérama ou Beaux Arts Magazine n’ont pas hésité, cette année, à consacrer une grande partie de leur contenu ou, même, un numéro spécial à un des aspects de ce qu’on appelle le 9e art : un média qui regroupe d’ailleurs de nombreux intellectuels « bédéphiles » analysant ou étudiant les tendances et l’histoire de cette culture dite du divertissement. De même, la chaîne Arte a été le partenaire du groupe Glénat pour organiser le 1er Concours Européen de Bandes Dessinées destiné à découvrir de nouveaux auteurs et sachez que le très sérieux mensuel Capital : l’essentiel de l’économie prépare, lui aussi, un dossier sur la BD !
La BD est un art populaire graphique et littéraire qui s’expose et voyage facilement mais son expansion s’est pourtant construite sans réelle vitrine médiatique. Ainsi, en dehors de l’événementiel Festival d’Angoulême (qui représente, et on peut le regretter, 90% de la couverture journalistique de l’année), la population s’estime toujours aussi mal informée, surtout par la télévision, mais aussi par les radios et la presse écrite généraliste. L’actualité du 9e art mérite pourtant une présence renforcée dans les relais d’opinion avec des émissions régulières et des rubriques permanentes. Les journalistes et spécialistes critiques passionnés (le plus souvent réunis au sein de l’ACBD : Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée) ne manquent pourtant pas : leurs efforts doivent être mieux récompensés ! Ces journalistes et spécialistes du 9e art remettent, tous les ans, le Grand Prix de la Critique, à l’album le plus remarquable de l’année ; en 2003, il a été décerné à La grippe coloniale T.1 par Serge Huo-Chao-Si et Appollo chez Vents d’Ouest.
IX – CONSÉCRATION GRÂCE AUX NOMBREUSES ADAPTATIONS
Les BD sont très souvent sources d’inspiration pour d’autres formes d’art et d’autres médias. Il n’y a jamais eu, par exemple, autant de films mis en chantier d’après des BD. Malgré le désintérêt de la plupart des médias généralistes (il manque vraiment une émission de TV entièrement dévolue au 9e art !), la BD est partout ! Il n’y a jamais eu autant de festivals, de librairies, de sites Internet, de fresques murales, d’expositions, de musées spécialisés dans ce domaine ou de livres écrits sur la BD (31 des 69 essais publiés en 2003 sont des monographies et 23 sont des guides pratiques).
D’autres domaines artistiques s’inspirent régulièrement des images et des histoires qui ont déjà fait leurs preuves en figuration narrative. C’est surtout au cinéma que cela est le plus significatif : la BD est à l’origine de succès comme Michel Vaillant ou L’Outremangeur (pour ne citer que les productions francophones sorties en 2003) et de nombreux projets sont en cours (Iznogoud, Jack Palmer, XIII, Bob Morane, Blake & Mortimer, Lucky Luke, Thorgal, La trilogie Nikopol, Neige, Tanguy et Laverdure, Blacksad, Adèle Blanc-Sec, Rapaces, Rahan, Ranxerox, Pilules bleues, Monsieur Jean, Le Triangle Secret, Giacomo C., Valérian, Lanfeust, Les Pieds Nickelés, Bob et Bobette, Barbarella, Le Démon de midi…, et même Tintin par Spielberg). Les créateurs restent, heureusement, les maîtres de leurs BD comme l’a prouvé Albert Uderzo en refusant l’adaptation cinématographique d’un troisième Astérix. Cette razzia du 7e art sur le 9e est due, en grande partie, aux excellents scores obtenus par les adaptations cinématographiques d’Astérix et Cléopâtre et de Spider-Man, en 2002, mais aussi à cette omniprésence de la BD dans la culture mondiale et à sa récente valorisation. Pour les producteurs, il est plus facile de lire une BD qu’un script écrit pour le cinéma !
On constate le même engouement dans les dessins animés (la chaîne de télévision France 2 s’appuie même sur une nouvelle grille de programmation intégrant de nombreux dessins animés. S’inspirant de BD afin de remédier à la perte de repères des jeunes et à leur peur de l’avenir), les jeux vidéos ou de société, les pièces de théâtre…, sans parler des produits dérivés (Pixi ou objets 3D, Tshirt, sous-bocks, verreries, sérigraphies, affiches, posters, ex-libris, portfolios, cartes postales, téléphoniques ou à jouer, enveloppes, étiquettes de vins ou de fromages, Cd-roms, plaques émaillées, sacs plastiques, timbres-poste…), de la publicité avec ses grandes campagnes de communication ou de la politique. D’ailleurs, il apparaît que ce qui est comptabilisé dans les 212 recueils d’illustrations (outre les 74 dessins d’humour et les 56 textes illustrés) réalisés par des auteurs de BD résulte souvent de ces adaptations. En effet, les éditeurs et les auteurs n’hésitent pas à proposer les travaux graphiques réalisés pour ces autres médias sous forme de recueils, souvent luxueux : juste retour des choses !
Si quelques signes de mauvais augure (disparition des petits formats, difficultés économiques de la presse spécialisée BD, relative surproduction, baisse du tirage moyen, stagnation des ventes en hypermarchés, tirages surdimensionnés pour certains titres pourtant largement médiatisés…) font les choux gras des esprits chagrins et peuvent inquiéter les professionnels, il n’en demeure pas moins que la BD apparaît aujourd’hui comme un loisir intégré dans nos pratiques culturelles, touchant toutes les générations et les couches sociales. Même Le petit Larousse présente sa nouvelle édition en se basant sur l’entrée d’une dizaine d’auteurs de bandes dessinées dont Bretécher, Druillet, Fred, Gotlib, Moebius, Schuiten, Wolinski… La BD fait donc bien partie du paysage. Elle est plus populaire que jamais : elle n’a pas attendu que l’on s’occupe d’elle pour entrer dans les foyers !
Aujourd’hui, la BD est considérée par l’ensemble de la population comme éducative et originale, son lectorat se rajeunit (84% des 8-14 ans lisent des BD), se féminise (45% des lecteurs de BD sont désormais des femmes)… !
Gilles RATIER
Secrétaire général de l’ACBD
La moindre utilisation de ces données ou d’une partie d’entre elles doit être obligatoirement suivie de la mention : © Gilles Ratier, secrétaire général de l’ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée).
Merci à Denis Plagne, à Laurent Turpin, à Pierre Ysmal et à mes autres collègues de l’ACBD pour leurs bons conseils.
Les chiffres des tirages ont été communiqués par les attachés de presse ou les responsables éditoriaux. Merci à Sébastien Agogué, Jérôme Aragnou, Virginie Arbib, Marlène Barsotti, Maud Beaumont, Pol Beauté, Élise Brun, Anne Caisson, Evelyne Colas, Benjamine des Courtils, Cécile Cuillerier, Kathy Degreef, Ghislaine Dulier, Xavier Fostroy, Anne-Cécile Hautbois, Cédric Illand, Michel Jans, Bernard Joubert, Emmanuelle Klein, Patrice Lamare, Lise Louvet, Bernard Mahé, Philippe Marcel, Florence Mihail-Danton, Philippe Morin, Thierry Mornet, Frédéric Niffle, Daniel Pellegrino, Arnaud Plumeri, Diane Rayer, Marie-Thérèse Vieira et Hélène Werlé.