Rapports

2009 : Une vitalité en trompe l’œil ?

Une année de bandes dessinées sur le territoire francophone européen

par Gilles Ratier, secrétaire général de l’ACBD

 

Dans un contexte de crise économique et une époque de grand chambardement numérique, l’édition de bande dessinée, toujours aussi dynamique, tente de faire converger son savoir-faire avec d’autres médias, tout en continuant à diversifier son lectorat traditionnel : d’où une nouvelle augmentation du nombre d’acteurs du secteur et de la production, laquelle a tendance à se réfugier vers les valeurs sûres ; le tout accompagné d’un certain tassement du marché.


  1. Production : Décélération (2,4% au lieu de 10,04% en 2008) de la progression de la production avec 4863 livres de bande dessinée publiés en 2009, dont 3599 strictes nouveautés.
  2. Édition : 9 groupes dominent toujours le secteur en produisant 60% de la production, alors que pas moins de 288 éditeurs ont publié des bandes dessinées en 2009.
  3. Mutation ? La stratégie du « média-mix » se renforce, le marché balbutiant du numérique prend forme et le 9e art est toujours source d’inspiration pour les autres moyens d’expression.
  4. Traduction : 1891 bandes dessinées étrangères (1429 viennent d’Asie et 312 des USA) ont été traduites : une progression de 0,5% par rapport aux nouveautés (pour 3,86%, en 2008).
  5. Réédition : Augmentation, tant sur le plan quantitatif que qualitatif, des nouvelles éditions et intégrales : 892, contre 821 en 2008, dont 177 œuvres datant de plus de 20 ans.
  6. Mobilisation : 1439 auteurs (1416 en 2008) tentent de vivre avec la bande dessinée, en Europe francophone, et certains d’entre eux sont mis à l’honneur dans les grands médias.
  7. Prépublication : Il n’y a plus que 64 revues spécialisées en bande dessinée (71 en 2008) : un déclin qui traduit les difficultés à se réformer pour ce secteur bien embouteillé.
  8. Optimisation : 99 séries (4 de plus qu’en 2008) ont bénéficié d’énormes mises en place et ont continué à se placer parmi les meilleures ventes, tous genres de livres confondus.

    Bilan téléchargeable avec annexes


    Crédits et remerciements


N.B. : la moindre utilisation de ces données ou d’une partie d’entre elles doit être obligatoirement suivie
suivie de la mention : © Gilles Ratier, secrétaire général de l’ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée).


I – PRODUCTION

Décélération (2,4% au lieu de 10,04% en 2008) de la progression de la production : 4863 livres de bande dessinée ont été publiés en 2009, dont 3599 strictes nouveautés.

Si les indicateurs (Livres Hebdo/I+C, GfK, etc.) ont tous noté un certain ralentissement pendant l’été (particulièrement dans les hypermarchés, surfaces de distribution où se réalise une grande partie des ventes), le marché de la bande dessinée semble, cependant, bien moins affecté que d’autres secteurs économiques : certains éditeurs bien installés parlant même d’une année exceptionnelle, vu le contexte général durci par la crise financière de 2008.

Comme d’habitude, il faudra attendre le début de l’année prochaine pour affiner le bilan économique 2009 de la branche bande dessinée dont le chiffre d’affaires est resté stable par rapport à l’année précédente (estimation globale du marché français de l’ordre de 320 millions d’euros en 2008, selon des chiffres communiqués par Ipsos en 2009) ; d’autant plus que le dernier trimestre, et surtout le mois de décembre, est toujours déterminant pour l’activité de ce domaine qui, en tentant, entre autres, de s’adapter au grand chambardement numérique actuel, reste l’un des plus dynamiques de l’édition.

Depuis ses origines, la bande dessinée a toujours été un produit en mutation permanente : son histoire montre qu’elle a su s’adapter aux soubresauts de l’économie et aux arrivées des nouveaux supports, médias et autres technologies. Les éditeurs continuent donc d’exploiter de nouvelles niches commerciales, développent leurs activités vers les marchés étrangers et dérivés (cinéma, télévision, jeux vidéo…), remettent en valeur leurs fonds (intégrales, nouvelles éditions…) en les présentant sous de nouvelles formes et, donc, s’investissent dans les premières applications en direction des nouveaux supports technologiques.

Ainsi, grâce à son extraordinaire richesse et une importante segmentation de l’offre (qui provoque, évidemment, une augmentation continuelle du nombre de sorties), elle conquiert de nouveaux marchés pour recruter davantage de lecteurs ; et pour la 14e année consécutive, sa production est encore en progression… 4863 livres appartenant au monde du 9e art ont été diffusés dans les librairies francophones ou sur Internet en 2009 (4746, en 2008) : soit une augmentation de 117 titres (2,4%), pour 433 et 10,04% en 2008. Le tout représentant 7,48% de la production des livres édités en Europe francophone (pour 7,91% en 2008) : environ 65.000 livres ayant été publiés en 2009.

Cependant, cette augmentation est un peu en trompe-l’œil puisqu’on dénombre, parmi ces 4855 ouvrages :

892 rééditions (soit 18,34% des parutions bandes dessinées de l’année) sous une nouvelle présentation ou éditions revues et augmentées : contre 821 et 17,3% en 2008, soit une progression de 71 titres ; en période de crise, on va plus facilement vers des valeurs refuges, sources de marges pour les éditeurs puisque déjà amorties.
297 Art books et recueils d’illustrations (soit 6,1% des parutions) réalisés par des auteurs de bandes dessinées : contre 271 et 5,71% en 2008, soit 26 titres de plus.
75 essais (soit 1,54% des parutions) : contre 62 et 1,31% en 2008, soit une augmentation de 13 titres.
– et seulement 3599 strictes nouveautés (soit 74% du total des livres concernés par cette spécialité) pour 3592 et 76,79%, en 2008 !

Et ces 3599 nouveaux albums parus en 2009 concernent toujours les 4 principaux domaines du 9e art :

– les séries asiatiques avec 1460 nouveaux mangas, manhwas, manhuas et assimilés qui sont parus en 2009, soit 40,57% des nouveautés, contre 1453 et 40,45% en 2008)
– et celui des albums franco-belges (1471 titres sont parus en 2009, soit 40,87%, contre 1547 et 43,07% en 2008), dont la production est plutôt stable.
– celui des bandes américaines (270 comics sont parus en 2009, soit 7,5%, contre 240 et 6,68% en 2008)
– et celui des amateurs d’albums différents (398 romans graphiques et autres livres expérimentaux sont parus en 2009, soit 11,05%, contre 353 et 9,83% en 2008), dont la production est en nette augmentation.

Alors que les catalogues sont de plus en plus transgénérationnels, segmentés et mondialisés (auteurs européens, américains et asiatiques se mixant de plus en plus), que les collections spécifiquement destinées aux filles se multiplient et que les catégories habituelles proposées par les éditeurs sont toujours aussi difficiles à recenser, 1196 nouveaux albums hors mangas et comics s’inscrivent pourtant dans des séries (contre 1271 en 2008), soit 63,99% des nouvelles créations ou traductions (66,89% en 2008). Ceci permet la répartition suivante où l’on constate :

– les hausses des séries historiques avec 316 albums (contre 297 l’an passé) – soit 21,48% du secteur – et des ouvrages destinés aux plus petits avec 185 albums (contre 173 en 2008) – soit 12,57% du secteur.
– les baisses des recueils humoristiques avec 482 albums (contre 527 l’an passé) – soit 32,77% du secteur -, du fantastique et de la science-fiction avec 239 albums (contre 267 en 2008) – soit 16,25% du secteur – et des thrillers et autres polars avec 212 albums (contre 283 précédemment) – soit 14,41% du secteur.
– et le retour en force du sexe en BD avec 37 albums (soit 2,52% du secteur) : 2009, année érotique ?

Toutefois, cette croissance continuelle, dans un marché de plus en plus difficile, ne semble plus être le fait des plus puissants éditeurs puisque ces derniers ont stabilisé leur production : en 2009, ils ont publié 2615 nouveautés – soit 72,66% du secteur – contre 2657 et 73,97% l’année passée. La hausse est donc principalement due à la « petite » édition qui progresse encore fortement, totalisant 1122 nouvelles parutions – soit 31,18% du secteur -, contre 936 et 26,06% en 2008. Notons aussi que 130 de ces 1122 titres issus de l’édition artisanale sont diffusés uniquement sur Internet ou dans des lieux de vente très spécifiques (contre 89 en 2008).


II – ÉDITION

9 groupes dominent toujours le secteur en produisant 60% de la production, alors que pas moins de 288 éditeurs ont publié des bandes dessinées en 2009.

Comme la chaîne du livre va certainement être chamboulée par la révolution numérique qui, pour l’instant, ne fait que brouiller les repères, l’exploitation des bandes dessinées virtuelles risque également de changer complètement le métier d’éditeur et de redistribuer certaines cartes. Ceci dit, pour l’instant, l’éditeur « papier » reste un acteur majeur du secteur bande dessinée, lequel continue d’attirer nombre de nouveaux venus : en 2009, 288 éditeurs différents ont publié des albums de bandes dessinées (soit 23 de plus qu’en 2008 où il y en avait déjà 265). Paradoxalement, comme les années précédentes, cette diversification structurelle n’évite pas le fait que ce soient toujours les mêmes 9 groupes qui concentrent 2/3 des activités, même s’ils ont, pour la plupart, diminué légèrement leur production.

Comme l’an passé, le plus gros producteur de 2009 est le groupe Média-Participations avec 586 titres publiés sous ses filiales Dargaud, Dargaud Benelux, Kana, Le Lombard, Dupuis, Blake et Mortimer, Lucky Comics et Fleurus/Édifa – soit 12,05% de la production (pour 627 et 13,21% en 2008). Toujours à la 5e place du marché du livre tous genres confondus, Média-Participations a réalisé, en 2008, 32,7% des ventes d’albums en France (en nombre d’exemplaires), ceci d’après des données Ipsos et Livres Hebdo (voir les annexes).

Le groupe Glénat (qui a célébré cette année ses 40 ans d’existence) est, quant à lui, le 2e plus important éditeur du secteur : sa part des ventes d’albums en France est de 16%, toujours d’après les données Ipsos et Livres Hebdo mises en annexes, et il est à la 3e place sur le plan de la production avec 413 titres sous son propre label ou sous ses filiales Glénat Mangas, Vents d’Ouest et Caravelle, mais aussi Drugstore (l’ancien catalogue Albin Michel) et Treize Étrange acquises récemment – soit 8,49% (contre 380 et 8,01% en 2008).

Les éditions Delcourt (qui représentaient déjà 10% des ventes d’albums en 2008) sont désormais en 3e position. La maison mère (dont le catalogue est l’un des plus diversifiés, ayant même racheté, en 2009, celui des éditions Robert Laffont BD), son département manga (via Akata) et sa filiale Tonkam ont publié toujours autant de titres : 482, soit 9,91%, contre 479 et 10,09% l’an passé.

Le groupe Flammarion (qui dépend du groupe de communication italien RCS) est encore dans le quintet de tête, à la 4e place (ayant réalisé 7,7% des ventes en nombre d’exemplaires) : même si ses filiales Casterman, KSTR, Fluide Glacial, Jungle et Librio, n’ont publié que 271 titres en 2009 – soit 5,57% (contre 323 et 6,8% en 2008).

Juste derrière (avec 7,4% des ventes en nombre d’exemplaires), on trouve le groupe MC Productions. Ce dernier a, quant à lui, augmenté sa production : totalisant 380 titres sous ses filiales Soleil, Soleil Manga, Quadrants et Fusion Comics (label de comics créé, à parts égales, par Soleil et Panini) – soit 7,81% de la production (contre 347 et 7,31% en 2008).

Un peu plus loin, en 6e position (5,8% des ventes en nombre d’exemplaires), la partie bande dessinée du groupe leader de l’édition française Hachette Livres, qui comporte désormais les éditions Albert-René (dont la principale activité est l’exploitation d’Astérix) en plus de ses autres filiales que sont Pika, Lambert et Disney Hachette, a publié 204 titres – soit 4,19% (contre 172 et 3,62% en 2008).

Ensuite, nous trouvons 3 groupes en pleine croissance, tant au niveau économique que de l’activité :

Bamboo avec 136 titres – soit 2,8% (contre 129 et 2,72% en 2008) – et 3% des exemplaires vendus.
Panini qui a publié 310 titres sous ses labels Manga et Comics – soit 6,37% (contre 279 et 5,88% en 2007) – et qui devient le 5e plus gros producteur de l’année tout en représentant 2,7% des ventes en nombre d’exemplaires.
Kurokawa, la filiale manga du groupe Editis, avec 76 titres – soit 1,56% (68 et 1,43% en 2008) – et 2,6% d’exemplaires vendus.

Loin derrière ces 9 ténors du marché, notons toutefois quelques outsiders comme les éditeurs de mangas Asuka, Taïfu, Samji et Ki-oon, mais aussi le groupe Gallimard (avec ses filiales Denoël Graphic, Hoëbeke et Futuropolis détenue à 50% avec Soleil), Clair de Lune, Les Humanoïdes associés, le groupe Tournon (Carabas, Semic et Kami), 12 bis, Paquet, EP, Ankama, Joker, Hugo BD, Marsu, Graton, Lécureux, Maghen, Zéphyr…

Cette concentration très forte du marché laisse peu de place aux moyennes et petites structures (Akileos, Assor BD, Attakus, Coccinelle, Daric, Flouzemaker, Le Gang, Grrr… Art, Idées +, JYB, Kantik, Makaka, Mosquito, Pavesio, P’tit Louis, Signe, Wygo…), aux acteurs de l’édition jeunesse (Bayard/Milan, Calligram, La Fibule, La Gouttière, Joie de Lire, Magnier, Max Milo, Nathan, Petit à petit, Sarbacane…), aux opérateurs littéraires (Actes Sud BD et L’An 2, L’Atalante, Au diable Vauvert, Gawsewitch, Hors Collection, Marabout, La Martinière, Le Seuil…) et surtout aux expérimentations graphiques et narratives des structures alternatives (L’Association, Atrabile, Beaulet, La Boîte à Bulles, Çà et Là, La Cafetière, Cambourakis, La Cerise, La 5ème Couche, Cornélius, Des Ronds dans l’O., Diantre !, Dynamite, Ego comme X, L’Employé du moi, Les Enfants Rouges, Flblb, La Fourmilière, FRMK, Groinge, Hoochie Coochie, Les Impressions nouvelles, Lagarde, L’Œuf, Onaprut, PLG, Rackham, Les Requins Marteaux, Les Rêveurs, 6 Pieds sous Terre, Tabou, Tanibis, Vertige Graphic, Warum, Yodéa… ; voir les annexes pour le nombre de titres parus).

Sans parler des nouveaux venus comme les maisons d’éditions de bande dessinée numérique (tel Foolstrip qui est distribué par Extra Live sur les mobiles européens) ou communautaires (Manolosanctis, Sandawe…) et de ceux qui produisent des albums à la demande, sur le modèle de Lulu.com ou Unibook, sites d’auto-publication.


III – MUTATION ?

La stratégie du « média-mix » se renforce, le marché balbutiant du numérique prend forme et le 9e art est toujours source d’inspiration pour les autres moyens d’expression.

L’édition numérique est une de ces évolutions non négligeables que les éditeurs traditionnels commencent à prendre en compte sérieusement : même s’il est loin d’être le seul, la bande dessinée est l’un des secteurs qui est très avancé sur le numérique. Mais nous en sommes encore à un stade balbutiant et nous n’avons pas de données précises pour juger de l’importance du chiffre d’affaires de cette forme virtuelle de l’édition, même si l’on sait qu’il est actuellement minuscule : les acteurs les plus avisés estiment, qu’aujourd’hui, il n’y aurait que 0,1% des livres (tous genres confondus) qui se vendraient en fichier numérique, en Europe francophone. On ne sait pas ce qu’il en sera demain, mais ce qui est sûr, c’est que les éditeurs se préparent à un éventuel virage numérique, ne tenant pas à réitérer les erreurs de l’industrie musicale et cinématographique.

L’offre commence d’ailleurs à se structurer et se développe rapidement : quelques sociétés se disputent déjà les « best-sellers » du moment, s’alliant souvent activement aux éditeurs « papier » en place.

– le développeur Aquafadas, via la bibliothèque Ave ! Comics, propose de prévisualiser en payant, mais aussi gratuitement dans certains cas, plus de 250 albums déjà parus, tout en hébergeant la première bande dessinée créée spécifiquement pour ce support : Bludzee de Lewis Trondheim. D’autre part, Ave ! Comics vient de s’associer à la bibliothèque numérique de Relay.com (qui dépend de HDS Digital, filiale du groupe Lagardère, c’est-à-dire Hachette) pour faire coexister 2 boutiques numériques distinctes : les « livres et BD à télécharger » sur ordinateur et les « BD pour appareils nomades » dont les mobiles.
– Anuman Interactive, désormais filiale de Média-Participations, qui travaille sur des logiciels multi-supports et qui aurait déjà vendu quelque 30.000 bandes dessinées sur l’AppStore. À noter que Bamboo a aussi signé un partenariat avec Anuman Interactive pour son application BDtouch.fr alimentée principalement par Dargaud.
MobiLire qui s’est allié au Groupement des Librairies spécialisées en Bande Dessinée (GLBD), sous enseigne Canal BD, et qui travaille, pour l’instant, avec le groupe Flammarion (Casterman, Jungle ou Audie/Fluide Glacial) et avec Soleil.
Forecomm qui annonce un catalogue de 200 titres issus de divers catalogues d’éditeurs « papier ».
DigiBiDi qui est un éditeur qui propose des lectures en location, sur ordinateur ou iPhone, pendant une durée limitée qui peut aller jusqu’à 3 jours.
Choyooz, marque ombrelle de Extra Live (société de solutions de jeux vidéo pour téléphone mobile), dont la spécificité est de produire pour toutes les formes de mobiles et pas seulement pour les iPhones.
– ou encore les bibliothèques numériques disponibles sur le désormais traditionnel Le Kiosque.fr, principal concurrent de Relay.com

Alors que les opérateurs se multiplient, l’édition (principalement le groupe BD du Syndicat National de l’Édition) commence à baliser le terrain de la distribution numérique ; ceci afin de proposer face aux grands opérateurs internationaux (Google en particulier) une plateforme ou une solution technique commune. Voilà qui va nécessiter de nouveaux métiers, de nouvelles pratiques ou de nouvelles règles économiques et juridiques.

Mais les acteurs du secteur se sont déjà confrontés à ces problématiques car ils ont toujours développé une énorme activité secondaire ou dérivée, même si ce sujet brûlant suscite toujours des différends avec les auteurs : la stimulation de la consommation de bandes dessinées due aux nombreuses exploitations télévisées, cinématographiques ou publicitaires (films, dessins animés, jeux vidéo…), le fait que le 9e art soit toujours autant courtisé par les autres industries du loisir (lui amenant ainsi de nombreux nouveaux lecteurs), et que de nombreux projets soient en cours de réalisation, est là pour le démontrer.

C’est donc entre inquiétude et enthousiasme que l’univers de la bande dessinée continue d’investir le monde du virtuel, même si ce dernier reste encore, la plupart du temps, une simple étape pour un unique but final : le livre ; l’économie de ce dernier restant largement dominante, du moins pour le moment.

Côté livre, justement, une tendance de fond est la mise en cases des classiques de la littérature : autre preuve qu’en temps de crise, on se réfugie vers des valeurs sûres qui rassurent le consommateur. En 2009, 179 titres ont résulté d’une adaptation d’une œuvre littéraire (soit 4,97% des nouveautés contre 154 et 4,29% en 2008).

Et comme les titres qui marchent le mieux sont ceux qui sont développés sur plusieurs médias, les éditeurs se mettent au tempo du « média-mix » en proposant des multi-supports : livres accompagnés de DVD, jeux vidéo, figurines ou CD (à l’instar des pionniers que sont !éditions! et BDMusic appelé jusqu’alors Nocturne, nom de son ancien distributeur). Pour ce faire, ils passent par des filiales spécialisées (telles celles de Média-Participations avec Anuman Interactive et Citel Vidéo), ouvrent carrément de nouveaux départements (l’éditeur de jeux vidéo Ubisoft se lançant avec la maison d’édition Les Deux royaumes) ou s’associent avec diverses sociétés multimédias à l’instar d’Ankama (société qui a explosé grâce à Dofus, son jeu vidéo massivement multijoueurs en ligne, et qui se diversifie avec différents labels et filiales inventives comme CFSL Ink).

Arrivant sur le marché français en acquérant 2 éditeurs d’animation asiatique (Kaze et Anime Virtual), les géants japonais du manga ShoPro, Shogakukan et Shueisha font même du « média-mix » le cœur de leur stratégie en prenant le contrôle d’Asuka et s’apprêtant à lancer des nouveaux ouvrages en français, exploités sous différents supports, par l’intermédiaire de Viz Media Europe.


IV – TRADUCTION

1891 bandes dessinées étrangères (1429 viennent d’Asie et 312 des USA) ont été traduites : une progression de 0,5% par rapport aux nouveautés (pour 3,86%, en 2008).

Dans le secteur de plus en plus concurrentiel du manga, la nouvelle du rachat de l’éditeur vidéo de dessins animés japonais Kaze par Viz Media Europe, la filiale commune des groupes japonais Shogakukan et Shueisha (détenteurs des droits de 2/3 des « best-sellers » nippons) a inquiété les responsables francophones qui leur achetaient ces licences : Kaze possédant aussi l’éditeur de mangas « papier » Asuka, ils avaient peur qu’ils disposent ainsi d’un camp de base pour se dispenser de leurs actuels partenaires français. Essayant d’être rassurants, les responsables de Viz ont déclaré à la revue professionnelle Livres Hebdo qu’ils n’étaient pas là pour récupérer les licences mais pour développer l’offre avec le « média-mix », en liant la gamme du manga à celle des dessins animés, et en rebaptisant Asuka (qui a traduit 128 volumes en 2009) du nom de Kaze Manga. Évidemment, l’enjeu est de taille, car la bande dessinée asiatique représente, désormais, plus d’1/4 du chiffre d’affaires du secteur et 39,7% de la production du 9e art due à 41 éditeurs différents (au lieu de 36 en 2008).

En effet, malgré la difficulté qu’ont les manhwas coréens (107 en 2009 pour 98 en 2008) et les manhuas chinois (23, comme en 2008) à s’imposer sur le marché – sans parler de la diminution de la création de mangas européens (33 contre 42 l’an passé) -, il y a eu 1429 albums d’origine asiatique parus en 2009 (contre 1411 en 2008), ce qui correspond à 538 séries différentes (contre 479 en 2008) ; et les 1297 mangas japonais traduits en français (contre 1288 en 2008) ont toujours la faveur d’un fidèle lectorat, plus jeune et plus féminin que celui de la bande dessinée franco-belge, appréciant leur moindre coût, la succession des nouveaux tomes dans des délais très rapprochés et un contenu proche de leurs préoccupations.

Comme seuls 10 shônen (séries pour jeunes garçons) ou shôjo (pour les filles) assurent 50% des ventes du secteur, cette progression ne gêne pas les autres segments du marché. D’ailleurs (en comptant Asuka), il n’y a que 9 éditeurs qui tiennent, à eux seuls, l’essentiel de l’économie des mangas traduits en français : Kana en tête avec 30% des exemplaires du secteur vendus en 2008, 136 volumes publiés en 2009 et une reconnaissance critique de son catalogue (le Prix Asie-ACBD a été décerné, cette année, à Undercurrent de Tetsuya Toyoda, pendant le festival Japan Expo). Le 2e est Glénat Mangas (23,9% en exemplaires vendus et 148 volumes parus) suivi, assez loin derrière, par Delcourt (96 volumes via Akata et 155 volumes par sa filiale Tonkam) avec 11,9% et par Pika (10,9% et 188 volumes) ; ensuite, le secteur est détenu, dans une moindre mesure, par Kurokawa (7,1% et 76 volumes), Panini Manga (4,7% et 117 albums), Soleil Mangas (103 volumes) et Ki-oon (54 albums).

Citons aussi les autres éditeurs francophones publiant des bandes dessinées asiatiques et qui représentent, à eux tous, à peine 10% du marché du manga en nombre d’exemplaires vendus (d’après Ipsos) : Bamboo (Doki-Doki), BFL, Carabas (Kami), Casterman (Sakka), Clair de Lune (Gakko), 12 bis, H, Imho, Le Lézard noir, Matière, Milan (Kankô et Dragons) et Taïfu, ou encore Paquet, Samji et Toucan (pour la bande dessinée coréenne) et Toki, Xiao Pan et You-Feng pour la chinoise. Sans oublier certains généralistes plutôt axés seinen (bande dessinée pour jeunes adultes) à l’instar d’Atrabile, Cambourakis, Cornélius, Flblb, Les Humanoïdes associés, Vertige Graphic…

Il semblerait qu’il y ait encore un potentiel d’élargissement de ce public vu l’intérêt provoqué par les 6 essais sur les mangas publiés en 2009 et l’audience grandissante des principaux sites du Web sur ce sujet : manga-news.com et manga-sanctuary.com ou encore animeland.com, animint.com, mangagate.com, mangaverse.net, mangavore.net, mata-web.com, total-manga.com, webotaku.com… D’ailleurs, grâce aux mangas, le japonais est désormais la langue la plus traduite de l’édition française !

Pourtant, les bandes dessinées traduites de l’anglais sont de plus en plus nombreuses : 9 proviennent d’Angleterre et 312 des États-Unis, soit 8,92% des nouveautés (contre 292 et 8,13% en 2008). Les comics mettant en scène les super-héros (X-Men, Spider-Man, Batman…) sont toujours le domaine privilégié de Panini, leader incontesté de ce secteur. D’autres éditeurs, plus ou moins spécialisés dans la bande dessinée américaine, essaient, toutefois, de s’imposer sur ce marché très spécialisé : tels Akiléos, Çà et là, Dante, Fusion Comics, Kymera, Milady Graphics, Organic Comix, Semic, Univers Comics ou Delcourt (avec les labels « Star Wars », « Contrebande » et « Outsider »).

Signalons enfin que les nombreux sites consacrés à ce phénomène (superpouvoir.com, comicbox.com, buzzcomics.net, marveldc-universe.com, comicsvf.com, comicsplace.net, cablechronicles.com, xbee.net, france-comics.com, comicsheroesreferences.com…) sont, eux aussi, très visités.

Les traductions italiennes sont également en pleine expansion (65 titres en 2009 – soit 1,8% des nouveautés – pour 57 et 1,59% l’an passé), notamment grâce aux éditions Clair de Lune et Mosquito qui tentent, contre vents et marées, d’imposer les fumetti (bandes dessinées populaires en petit format et en noir et blanc) au public francophone ! Par ailleurs, on notera, ces dernières années, la nette recrudescence des auteurs italiens (32 en 2009) publiant directement en français : productions qui ne sont pas considérées comme des traductions.

Cependant, comics, fumetti et mangas ne sont pas les seuls fournisseurs de séries étrangères puisqu’on dénombre aussi 20 bandes dessinées d’origine espagnole (contre 28 en 2008), 15 hollandaises, 13 argentines, 7 allemandes, 4 finlandaises ou sud-africaines, 3 israéliennes, 2 norvégiennes ou indiennes… : soit, au total, 1891 traductions – c’est-à-dire 52,5% des nouveautés (contre 1856 et 51,67%, en 2008) -, venant de 22 pays différents.

À l’inverse, le succès remporté à l’étranger par les romans graphiques, en librairie généraliste, permet de constater une forte activité de la bande dessinée francophone à l’export.


V – RÉÉDITION

Augmentation, tant sur le plan quantitatif que qualitatif, des nouvelles éditions et intégrales : 892, contre 821 en 2008, dont 177 œuvres datant de plus de 20 ans.

Si on regarde de plus près la production annuelle, on s’aperçoit que son augmentation est surtout due aux rééditions ; comme, en période de crise, les classiques sont rassurants et se vendent mieux, les éditeurs sécurisent ainsi les marges, le fonds éditorial étant rhabillé en nouveautés. Mais si cela leur coûte souvent moins cher que la création, les éditeurs mettent un point d’honneur à revaloriser leur patrimoine, avec tout le respect qui lui est dû, en multipliant les nouvelles éditions qualitatives, souvent augmentées d’un dossier, qui ont nécessité un travail de restauration (319 intégrales et 74 tirages de luxe sont parus cette année). Ainsi, nous avons eu droit, en 2009, à de belles mises en valeur d’œuvres oubliées ou peu connues des jeunes générations, de la part d’Actes Sud/L’An 2, L’Association, Audie, Casterman, Champaka, Cornélius, Dargaud, Delcourt, 12 bis, Dupuis, Futuropolis, Glénat, Lombard, Mosquito, Les Rêveurs, Soleil, Vents d’Ouest ou Vertige Graphic. À noter que cette tendance, qui apporte une véritable légitimité en terme d’image, est également présente chez les éditeurs de séries américaines ou asiatiques puisqu’on dénombre 116 rééditions de comics, 95 de mangas et 16 de manhwas.

Ceci dit, c’est surtout la nostalgie et la passion des responsables de toutes petites structures (se diffusant souvent par leurs propres moyens) qui permettent la survie d’œuvres d’auteurs classiques méconnus : un phénoménal travail de transmission réalisé par ABDL, Les Amis de Le Rallic, ANAF, Bague à Tel, Bleu et noir, Club de l’Audace, Club des Amis de Trubert, Le Coffre à BD, Le Cousin Francis, L’Élan, Hexagom Comics, Hibou, Melmac, Pan Pan, Regards, Sangam, Taupinambour, Toth, Triomphe, Univers Comics, Vagabondages ou La Vache qui médite qui publient, à un nombre très réduit d’exemplaires, des récits qui, sans eux, seraient tombés dans l’oubli. Surtout que ces derniers sont rarement signalés dans les 75 livres écrits sur le 9e art (dont 35 monographies et 40 guides pratiques) de 2009 ! Remarquons aussi, à ce propos, les méritoires entreprises de certains sites du Net qui mettent en avant cette facette historique : bdoubliees.com, coconino-world.com, « Le Coin du patrimoine » sur bdzoom.com, pimpf.org, conchita.over-blog.net

Ainsi, pourra, peut-être, être entretenue la mémoire des 13 personnalités francophones décédées en 2009 :

Claude Moliterni : scénariste (Scarlett Dream, Harry Chase…), journaliste, historien du 9e art, organisateur de festivals (l’un des créateurs de celui d’Angoulême), directeur littéraire, fondateur de bdzoom.com
Yves Duval : scénariste prolifique du journal Tintin (Les Franvals, Howard Flynn, Doc Silver, Rataplan…).
Francisco Hidalgo : photographe et dessinateur d’origine espagnole ayant travaillé, sous le nom d’Yves Roy, pour Vaillant (Bob Mallard, Teddy Ted…) et la presse Fleurus (Blason d’argent…).
Jean-Marie Brouyère : scénariste et dessinateur du journal Spirou (Archie Cash, Al Alo, Aymone…),
– mais aussi Josette Baujot (coloriste en chef des studios Hergé), Vania Beauvais (responsable BD à France Soir), Manuel Frisano (fils de Pierre Frisano et dessinateur chez Bayard), Lem (alias Jacques Lemaire, dessinateur de presse auteur de quelques bandes dans L’Équipe et Aventures), Claude Jacques Legrand (scénariste pour les petits formats des éditions Lug), Pol Vandromme (premier biographe d’Hergé), Martin Vaughn-James (peintre et dessinateur auteur du labyrinthe graphique qu’est La Cage), Thierry Jonquet (écrivain, auteur de polars et scénariste pour Jean-Christophe Chauzy), Jacques de Douhet (éphémère scénariste de Buck Danny)…

Au final, en cette année des 80 ans de Tintin, des 50 ans d’Astérix, de Tanguy et Laverdure, de Barbe Rouge, de Clifton ou de Boule et Bill, des 40 ans de Rahan ou de Yakari et de la commémoration des 20 ans de la disparition du scénariste Jean-Michel Charlier (avec le lancement d’une « Collection Jean-Michel Charlier » chez Sangam), 177 titres datant de plus de 20 ans (soit 4,92% des nouveautés, contre 201 et 5,6% en 2008) ont été édités en album pour la première fois. Et si l’on déduit ces 177 titres et les 1891 traductions, on s’aperçoit qu’il n’y a eu, en fait, que 1531 véritables nouvelles créations de bandes dessinées en Europe francophone (pour 1535 en 2008).


VI – MOBILISATION

1439 auteurs (1416 en 2008) tentent de vivre avec la bande dessinée, en Europe francophone, et certains d’entre eux sont mis à l’honneur dans les grands médias.

De plus en plus d’auteurs francophones sont présents sur le marché
: en 2009, ils étaient 1396 à publier au moins un nouvel album, alors qu’ils sont 1439 (1416 en 2008) à vivre de ce mode d’expression : 160 sont des femmes, soit 11,12% (151 et 10,66% en 2008), et 257 sont scénaristes sans être également dessinateurs, soit 17,86% (248 et 17,51% en 2008). À ce nombre, il faut rajouter 106 coloristes professionnels qui se mobilisent pour valoriser leur métier et obtenir un vrai statut d’auteur.

Pour survivre, la grande majorité de ces créateurs doit avoir au moins 3 albums disponibles au catalogue d’éditeurs bien diffusés et un contrat en cours, un emploi régulier dans la presse ou l’illustration jeunesse, ou alors accepter divers travaux dans d’autres domaines : les places étant de plus en plus rares et mal rétribuées. Une situation peu enviable qui met en exergue l’importance des combats syndicaux menés par le Groupement des auteurs de bande dessinée au sein du SNAC.

Heureusement, le va-et-vient entre les différents supports peut leur assurer une certaine visibilité dans les médias : les journalistes parlant du 9e art (avec plus ou moins d’importance, de régularité et de qualité dans les contenus) étant de plus en plus nombreux, quel que soit le support. La plupart d’entre eux sont réunis au sein de l’ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée) qui remet, tous les ans, le Grand Prix de la Critique à un album remarquable paru dans l’année. En 2009, il a été décerné à Dieu en personne de Marc-Antoine Mathieu chez Delcourt.


VII – PRÉPUBLICATION

Il n’y a plus que 64 revues spécialisées en bande dessinée (71 en 2008) : un déclin qui traduit les difficultés à se réformer pour ce secteur bien embouteillé.

Selon les résultats de l’enquête du ministère de la Culture et de la Communication sur Les Pratiques culturelles des Français à l’ère numérique dirigée par Olivier Donnat (ouvrage aux éditions La Découverte, en 2009), on n’aurait jamais autant lu qu’aujourd’hui… Mais l’ordinateur s’est substitué aux supports de connaissances et de loisirs traditionnels, au point que le sociologue parle désormais de « culture d’écran », ceci au détriment de la lecture sur papier et, particulièrement, de celle de la presse : d’où la nécessité, pour les éditeurs de magazines de prolonger leur lectorat sur le numérique et Internet en appliquant, eux aussi, le « média-mix » !

Quant à la presse de bande dessinée, dans ce secteur de la distribution en grande difficulté, elle souffre aussi de la concurrence de l’album… et ceci depuis des années. Aujourd’hui, il n’y a plus que 14 magazines, diffusés en kiosques, qui proposent des créations de bandes dessinées européennes (il y en avait 18 en 2008). Seuls quelques titres bien identifiables arrivent à maintenir leur lectorat dans un marché très difficile, particulièrement certaines revues pour enfants comme Le Journal de Mickey qui a fêté ses 75 ans avec son 3000e n° (tirage moyen 185.000 ex.) et les autres revues éditées par Disney Hachette Presse (Super Picsou Géant avec 250.000 ex., Mickey Parade Géant avec 187.000 ex., Picsou Magazine avec 185.000 ex., Witch Mag avec 170.000 ex., Winnie avec 153.000 ex., Bambi avec 68.000 ex., etc.), Spirou qui est même en légère progression depuis janvier (100.000 ex. au numéro, en moyenne), Tchô ! le journal de Titeuf (60.000 ex.) ou Lanfeust Mag (40.000 ex.) ; Pif Gadget ayant mis la clé sous la porte après la mise en liquidation judiciaire de sa société éditrice.

Le constat est le même en ce qui concerne les mensuels qui s’adressent à un large public adulte : tels Fluide Glacial avec 120.000 ex. au n° dont un 400e au format XXL de 50 cm de haut sur 36 de large, L’Écho des Savanes avec 75.000 ex. ou Psikopat avec 35.000 ex.

Ce sont surtout les journaux principalement composés de licences qui ont le vent en poupe (dont 94% appartiennent au groupe Panini, le principal éditeur de bandes dessinées en kiosques en France, pour 90% en 2008) ! 8 d’entre eux proposent des bandes dessinées adaptées de dessins animés (Bugs Bunny, Scooby-Doo !, Titi & Grosminet, Tom & Jerry, My Little Pony…) et sont tirés entre 30.000 et 120.000 ex. au n°, alors que les 31 fascicules (il y en avait 26 en 2008) avec des comics américains super-héroïques se situent, eux, entre 15.000 et 35.000 ex. C’est le cas de ceux utilisant les marques Marvel désormais sous contrôle de la Walt Disney Company (Spider-Man, X-Men, Wolverine, Fantastic Four, Hulk, Dark Reign, Secret Invasion, Ultimates…) ou DC (Batman, Superman, Trinity…), comme de ceux édités par Delcourt (Spawn avec 19.500 ex. et Star Wars avec 29.000 ex.) : un lectorat passionné (des revues comme Comic Box, Scarce ou Strange qui revient en kiosque, traitent exclusivement du sujet) et qui se renouvelle sans arrêt !

Comme les autres années, les revues sur les mangas (AnimeLand, Coyote, Dofus Mag, Hard Manga, Japan Life style, Made in Japan, Manga Kids, MK+, Maniak !, Planet Manga…) ont parfois des tirages bien plus importants, mais ces magazines se consacrent bien plus souvent à l’anime et aux jeux qu’à la bande dessinée.

N’oublions pas les 2 revues commentant l’actualité du 9e art diffusées dans le réseau presse ([dBD] et CaseMate avec des tirages « déclarés » de 22.000 ex. et 30.000 ex. au n°) ou l’exceptionnel n° de Pilote qui fêtait ses 50 ans (tirage 100.000 ex.). En librairie, les revues de bédéphilie sont aussi de plus en plus rares. Il ne reste plus que 10 magazines érudits (ils étaient encore 11 en 2008) : L’Avis des Bulles, Comix Club, Gabriel, Hop !, Neuvième Art, On a marché sur la bulle, Papiers Nickelés et Pimpf Mag, sans oublier les gratuits qui sont les seuls à obtenir une certaine lisibilité et une totale diffusion : Zoo avec 82.000 ex., Le Magazine Album et Canal BD Magazine avec 65.000 ex. et leur Manga Mag à 33.000 ex., ou les plus rares Le Strip et Comic Strip.

Quant aux 12 revues publiant des bandes dessinées et qui sont diffusées partiellement en librairies (Be-Boy Magazine, revue de manga yaoi éditée par Asuka, Blam !, Choco Creed, Chroma, Clafoutis, Dame Pipi Comix, Gorgonzola, In 8, Jade, Lapin, Patate douce ou Turkey Comix), elles dépassent rarement les 1000 exemplaires.

Si 395 albums ont été proposés en avant-première dans les magazines (soit 10,95% des nouveautés, contre 413 et 11,63% en 2008), si des revues prestigieuses comme Le Monde, L’Express ou Beaux Arts magazine sortent toujours des n° hors série plus ou moins opportuns et si le quotidien belge Le Soir continue de proposer des ventes couplées avec albums, au total, les revues publiant majoritairement de la bande dessinée ne sont plus que 64 (contre 71 en 2008) !

Aujourd’hui, c’est sur Internet que les amateurs vont chercher l’information souhaitée ! Il faut dire qu’ils ont à leur disposition 54 sites généralistes consacrés au 9e art (46 en 2008) qui sont de plus en plus consultés et bien documentés : à l’instar de actuabd.com, auracan.com, bdgest.com, bdselection.com, bdzoom.com, bodoi.info et labd.cndp.fr ; ou encore de 1001bd.com, bandedessinee.info, bande-dessinee.org, bdencre.com, bdetente.com, bdovore.com, bdtresor.net, bedeo.fr, blam.be, bruitdebulles.com, bulledair.com, clairdebulle.com, du9.org, expressbd.com, graphivore.be, krinein.com/bd, mundo-bd.fr, neuvieme-art.com, phylactu.fr, planetebd.com, sceneario.com, toutenbd.com, virus-bd.net, wartmag.com… pour ne citer que les plus performants ; et sans oublier les webmagazines comme Trame 9 ou le nostalgique et passionné Période Rouge.

Quant à la création, elle est aussi bien présente dans le monde du Web et des réseaux sociaux (même si elle n’est pas encore toujours très bien rémunérée) grâce à la vivacité des auteurs : il existerait, aujourd’hui, près de 15.000 blogs ou webcomics de bande dessinée sur Internet.


VIII – OPTIMISATION

99 séries (4 de plus qu’en 2008) ont bénéficié d’énormes mises en place et ont continué à se placer parmi les meilleures ventes, tous genres de livres confondus.

Nous l’avons déjà écrit, les séries développées sur plusieurs médias se vendent mieux (d’où le renforcement des politiques de marques de la part des éditeurs). Et les valeurs sûres franco-belges  ne sont pas à la traîne car elle bénéficient, prioritairement, d’importantes campagnes de communication ou d’exploitation dérivées. Ainsi, en 2009, 99 séries ont été tirées à plus de 50.000 ex. (pour 95 l’an passé) et font l’essentiel du marché du secteur.

D’après les chiffres communiqués par les éditeurs, il s’agit de :

– l’album exceptionnel pour les 50 ans d’Astérix créé par René Goscinny et Albert Uderzo (1.200.000 ex.)
Blake et Mortimer de Jean Van Hamme, René Sterne et Chantal de Spiegeleer (500.000 ex.)
– l’album érotique Happy Sex de Zep (380.000 ex.)
Le Petit Spirou de Tome et Janry (330.000 ex.)
Lanfeust Odyssey de Christophe Arleston et Didier Tarquin (300.000 ex.)
Boule et Bill de Laurent Verron, avec Cric et Pierre Veys (300.000 ex.)
– du retour des Passagers du vent de François Bourgeon (250.000 ex.)
XIII Mystery de Corbeyran et Philippe Berthet (230.000 ex.)
Cédric de Raoul Cauvin et Laudec (223.500 ex.)
Les Nombrils de Maryse Dubuc et Delaf (220.200 ex.)

Viennent ensuite Les Profs d’Erroc et Pica, Lou ! de Julien Neel ou Jack Palmer de René Pétillon (200.000 ex.), Animal’z d’Enki Bilal (180.000 ex.), Les Tuniques bleues de Raoul Cauvin et Willy Lambil (163.500 ex.), Trolls de Troy de Christophe Arleston et Jean-Louis Mourier (160.000 ex.), Tom-Tom et Nana de Jacqueline Cohen et Bernadette Després, Murena de Jean Dufaux et Philippe Delaby, Litteul Kévin de Coyote ou une compilation écologique du Gaston d’André Franquin (150.000 ex.), Les Schtroumpfs du studio Peyo (140.000 ex.)… et bien d’autres séries – souvent bien établies ou purs produits de marketing – qui font encore du 9e art l’un des secteurs de l’édition les plus dynamiques de 2009.

Du côté des mangas, il n’y a que 10 séries (publiées chez 5 éditeurs) qui assurent plus de 50% des ventes dans leur globalité : et c’est encore Naruto qui bat tous les records avec un tirage qui est monté à 250.000 ex. pour chaque nouveau tome (il y en a eu 6 en 2009) ! Heureusement, les autres leaders du secteur semblent se renouveler avec le 1er tome de Soul Eater tiré à 80.000 ex. (mais les 5 suivants ne l’ont été, pour l’instant, qu’entre 61.000 et 65.000 ex.), 5 volumes de One Piece (à 80.000 ex. chacun), 3 de Fullmetal Alchemist (76.000 ex.), 6 de Fairy Tail (70.000 ex.), l’ultime Death Note (un guide tiré à 65.000 ex.), 2 Gunnm Last Order (à 60.000 ex.), 2 Nana (à 55.000 ex.), 5 Bleach et 2 Hunter x Hunter (à 50.000 ex. chacun) ; sans parler du manga français Dofus (3 titres à 60.000 ex.) ou du fonds Dragon Ball qui cartonne toujours !

Afin de ne pas trop subir les conséquences du taux des retours (leur impact est important du fait de l’investissement initial plus élevé qu’en littérature générale) qui continuent d’augmenter, les éditeurs ajustent au mieux leurs frais, baissant les chiffres de tirages initiaux, quitte à réimprimer : les métiers de l’impression étant devenus particulièrement concurrentiels sur le plan international, cela coûte beaucoup moins cher qu’autrefois. Il en découle que le tirage moyen baisse donc une fois encore, l’écart n’en finissant pas de se creuser entre les « best-sellers » et le peloton des ventes moyennes !

Espérons simplement que le fait d’avoir sorti les principales locomotives du secteur sur les 4 derniers mois de l’année (66 titres sur 137), période où les éditeurs font le plus gros de leur chiffre d’affaires – l’album étant toujours considéré comme un cadeau idéal -, ne provoquera pas un télescopage de ces différents « blockbusters » ! D’autant plus que 1912 albums – soit 39,3% de la production annuelle (contre 1848 et 38,9% en 2008) – ont été mis en place entre septembre et décembre. Il en ressort que les diffuseurs et les distributeurs sont, plus que jamais, les maillons forts de la chaîne du livre ! Aussi, quand un éditeur possède sa propre structure de diffusion/distribution efficace dans les grandes surfaces (où l’on trouve facilement meilleures ventes et nouveautés, ouvrages privilégiés par le système actuel) – mais aussi dans les réseaux en pleine évolution que sont les FNAC, Virgin, Canal BD, Album… – ce qui est le cas de Média-Participations (avec DDL Diffusion), de Casterman (avec Flammarion Diffusion) ou de Delcourt et Soleil (avec Delsol), il est gagnant sur tous les fronts !

Notons enfin que l’importance du 9e art n’est pas qu’économique puisqu’il n’y a jamais eu autant de festivals, de spectacles et d’expositions dans de prestigieux espaces culturels (dont certains spécialisés comme le nouveau Musée National de la Bande Dessinée d’Angoulême ou le Musée Hergé à Louvain-la-Neuve), que les décorations et récompenses officielles se multiplient pour les auteurs méritants et que les responsables politiques de la Belgique ont même déclaré « 2009, année de la bande dessinée » sur le plan touristique : provoquant une dizaine d’expositions majeures réparties tout au long de l’année ! Une reconnaissance et une respectabilité qui donne lieu à diverses commandes d’images : 301 recueils d’illustrations, dont 56 recueils de dessins d’humour et 75 textes illustrés, sont parus en 2009. Certaines se vendent même à des prix astronomiques dans les salles des ventes : le secteur étant en train de se faire une place enviée sur le marché sélectif de l’art avec un grand A !

Gilles RATIER
Secrétaire général de l’ACBD



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CRÉDITS ET REMERCIEMENTS

N.B. : la moindre utilisation de ces données ou d’une partie d’entre elles doit être obligatoirement suivie suivie de la mention : © Gilles Ratier, secrétaire général de l’ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée).

Merci à mes amis de l’ACBD : Jérôme Briot, Virginie François, Patrick Gaumer, Philippe Guillaume, Brieg F. Haslé, Ariel Herbez, Jean-Christophe Ogier, Fabrice Piault, Denis Plagne et Laurent Turpin.

Merci aux attachés de presse ou responsables éditoriaux qui nous ont communiqué les chiffres des tirages : Ahmed Agne, Sébastien Agogué, Jérôme Aragnou, Anabelle Araujo, Marlène Barsotti, Cécile Bergeret, Thomas Bernard, Frédéric Bosser, Marine Bourgeay, Elise Brun, Dominique Burdot, Alain Cahen, Sophie Caïola, Anne Caisson, Stéphane Caluwaerts, François Capuron, Paul Carali, Didier Chalufour, Agnès Charvier, Sophie Chédru, Jérôme Chélim, Bénédicte Cluzel, Évelyne Colas, Bernard Coulange, Sébastien Dallain, Ariane Danezis, Marie Decrême, François Defaye, Kathy Degreef, Sylvie Duvelleroy, Serge Ewenczuk, Marie Fabbri, Bruno Fermier, Thomas Gabison, Vincent Henry, Véronique Huchez, Cédric Illand, Marc Impatient, Michel jans, Bernard Joubert, Emmanuelle Klein, Jean-Charles Lajouanie, Sabrina Lamotte, Denis Lapière, Thierry Laroche, Émilie Le Hin, Pierre Léoni, Wandrille Leroy, Christine Leriche, Caroline Longuet, Xavier Lowenthal, Maly Mann, Philippe Marcel, Benoît Marchon, Michael Martin, Jérôme Martineau, Pascal Mériaux, Marie Moinard, Olivier Moreira, Thierry Mornet, Laurent Muller, Aline Ngo-Doan-Ta, Frédéric Niffle, Philippe Nihoul, René Park, Daniel Pellegrino, Laure Peduzzi, Bruno Pham, Marc Pichelin, Arnaud Plumeri, Mathieu Poulhalec, Diane Rayer, Fabienne Reichenbach, Estelle Revelant, Florence Richaud, Louise Rossignol, Richard Saint-Martin, Sophie de Saint-Blanquat, Olivier Thierry, Thierry Tinlot, Frédéric Vidal, Marie-Thérèse Vieira, Hélène Werlé, Giusti Zuccato ; et à Didier Pasamonik pour ses habituels bons conseils.

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